Un autre choix que celui désigné

Toujours dans le monde de la dualité, à propos de la situation de la Grèce, voici la solution alternative que l’Argentine avait choisie en 2002 et qui n’a guère fait les affaires du FMI (Fonds Monétaire International).

De mon point de vue, l’intérêt de cet entretien n’est pas tant la solution trouvée au sein d’un système qui va de toutes façons disparaître, que de démontrer à quel point les intérêts particuliers au pouvoir désignent toujours une seule voie à leur service, martelée par les discours et les médias jusqu’à ce qu’elle soit vue comme une évidence, alors qu’il ne s’agit que de conditionnement, et de rien d’autre. Se déconditionner, c’est déjà envisager les choses sous un autre angle, et comme dit souvent ici, changer la nature du regard que l’on porte sur le monde.

Le Passeur.

« Nous avons sauvé les gens plutôt que les banques ! »

L’ancien ministre de l’Economie argentin, Roberto Lavagna, a sorti son pays de la crise en 2002, en se passant des services du FMI. Il préconise la même solution pour la Grèce.

Recueilli par Gérard Thomas pour Libération, à Buenos Aires.

L’ancien ministre de l’Economie argentin Roberto Lavagna, 69 ans, est le principal artisan du redressement de l’Argentine engluée dans une terrible crise économique il y a dix ans. Lorsqu’il prend ses fonctions, en avril 2002, le peso vient d’être dévalué de 70%, le pays est en cessation de paiement, la dette privée s’élève à plus de 72 milliards d’euros, l’inflation annuelle flirte avec les 125% par an, le chômage explose, les petits épargnants sont ruinés et les troubles sociaux ont déjà fait plus de 30 morts dans le pays. Cet ancien ambassadeur auprès de l’Union européenne décide immédiatement de se passer de « l’aide » du Fonds monétaire international (FMI) et des marchés financiers. Quelques pistes à suivre pour la Grèce.

– Quelles sont les grandes similitudes entre la crise argentine de 2001-2002 et la crise grecque ?

Au plan économique, tout est semblable. L’Argentine avait établi une parité fixe entre le peso et le dollar, la Grèce est ficelée à l’euro, perdant ainsi le contrôle de sa monnaie. Un taux de change fixe associant des pays à forte productivité et d’autres dont la compétitivité est beaucoup plus faible ne peut qu’engendrer une crise. La Grèce est déjà dans sa quatrième année de récession, l’Argentine l’était également. Le déficit fiscal, le déficit des comptes courants, la chute vertigineuse du PIB (ndP: Produit Intérieur Brut), l’endettement, l’explosion du chômage… Toutes les grandes données macro-économiques sont similaires. En revanche, la situation sociale de la Grèce est bien meilleure que celle de l’Argentine à l’époque. Au plan institutionnel, l’Argentine était par ailleurs un pays isolé alors que la Grèce fait partie de l’ensemble économique le plus puissant du monde.

– Comment avez-vous tiré l’Argentine du chaos ?

Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j’ai décidé de changer radicalement notre manière de penser la sortie de crise.. Le mois suivant, j’étais à Washington pour rencontrer les dirigeants du Fonds Monétaire International et leur expliquer que nos rapports allaient s’en ressentir. Depuis le début du marasme économique, en 1998, nous avions déjà eu deux programmes du Fonds pour un total de 51 milliards d’euros. Les deux ont été des échecs retentissants et certaines voix s’élevaient pour demander une troisième tournée de quelque 17 milliards supplémentaires.

Je n’ai pas voulu suivre cette voie et j’ai expliqué au Fonds que nous ne voulions plus de prêt et que nous sortirions seuls de la crise. La seule chose que j’ai demandé était un roll over partiel de toutes les échéances. Je me suis également engagé à payer les intérêts de la dette et une partie du capital. Mais pas tout et pas tout de suite. Cette position était tout simplement impensable pour le FMI car nous affichions notre volonté de fixer nous même notre propre politique économique. J’ai du leur expliquer trois fois de suite ma position avant qu’ils finissent par comprendre. A partir de là nous avons arrêté de soutenir financièrement les banques alors que le FMI nous l’imposait, exigeant même que nous privatisions la Banque de la Nation. Mais comme nous étions sorti du jeu, le Fonds n’avait plus de moyen de pression sur l’Argentine !

– Vous avez donc œuvré contre le FMI et vos principaux créanciers ?

Les sorties de crise se font en dehors des chemins tracés par le FMI. Cette institution propose toujours le même type de contrat d’ajustement fiscal qui consiste à diminuer l’argent qu’on donne aux gens – les salaires, les pensions, les aides publiques, mais également les grands travaux publics qui génèrent de l’emploi – pour consacrer l’argent économisé à payer les créanciers. C’est absurde. Après 4 ans de crise on ne peut pas continuer à prélever l’argent aux mêmes. Or c’est exactement ce qu’on veut imposer à la Grèce ! Tout diminuer pour donner aux banques. Le FMI s’est transformé en une institution chargée de protéger les seuls intérêts financiers. Quand on est dans une situation désespérée, comme l’était l’Argentine en 2001, il faut savoir changer la donne.

– Selon vous les plans d’austérité et de rigueur ne sont pas nécessaires mais c’est pourtant ce qu’on impose à la Grèce…

A tort car l’argent prêté risque de ne jamais être remboursé et le déficit fiscal grec est plus élevé aujourd’hui qu’avant la première injection d’argent frais. Ce sont les mêmes éternelles erreurs. C’est le secteur financier qui impose sa manière de voir les choses au monde entier. On préfère sauver les banques plutôt que les gens qui ont des crédits immobiliers à rembourser. La première chose qu’on a faite, nous, c’est de rallonger les échéances pour les propriétaires endettés. Les fonctionnaires du FMI nous ont alors dit que nous violions les règles essentielles du capitalisme ! Ils oubliaient simplement que des gens ruinés ne consomment plus, ce qui obère (ndP: accabler) une relance par la croissance.
Au lieu de payer les banques, la Grèce devrait investir dans l’éducation, les sciences et la technologie, financer des infrastructures et récupérer ainsi une certaine productivité, ne serait-ce que dans les secteurs des services ou du tourisme.

– Vous devez avoir beaucoup d’ennemis chez les banquiers…

Roberto Lavagna

Ils me détestent ! Ce qui ne les a pas empêché de frapper à notre porte pour nous prêter de l’argent 48 heures exactement après que nous avons terminé la restructuration de notre dette en 2005 ! Or j’ai refusé ces offres intéressées en leur répondant que nous ne reviendrons pas sur le marché financier avant 2014 car nous n’en avons plus besoin. Pourquoi 2014, simplement parce qu’a cette époque la dette sera seulement de 30% du PIB, la moitié des critères européens de Maastricht ! Je pense qu’un pays comme l’Argentine ne doit pas être tout le temps présent sur le marché financier. C’est un risque beaucoup trop grand d’augmenter à nouveau la dette. Le problème c’est que ce sont les banquiers eux-mêmes qui estiment qu’il est positif pour l’image d’un pays d’emprunter à l’international. Il est clair que si je vendais des tomates, je trouverai très bien qu’on en mange ! Eux ils vendent de l’argent.

Gérard Thomas en entretien avec Roberto Lavagna.

Source originale. – Vu sur L’Eveil 2012.

Source : http://www.urantia-gaia.info (en cas de copie, merci de respecter l’intégralité du texte et de citer la source)

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Nomade sur le chemin...
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9 réponses à Un autre choix que celui désigné

  1. manu dit :

    Excellent cours/leçon d’économie réelle!

    Le fond du problème est bien avec quel modèle de pensée on regarde une situation.
    Voici dans ce cours vidéo la description du modèle économique dans lequel on est, que personne ne veut que l’on sache, sous peine de grosse remise en cause:

    Les marchand du temple on évolués est sont devenu machiavéliques!

    Bonne transition vers un meilleur monde à tous.

  2. grioune dit :

    Merci, merci de nous rappeler ces évidences que la fable de LA FONTAINE décrivait déjà :
    « le savetier et le financier » .

  3. marie christine dit :

    Un Roberto Lavagna + une Sara Julia Rodrigue = un formidable modèle de masculin et de féminin harmonieux en marche .

  4. Lilas dit :

    J’aime pouvoir lire des choses pareilles. Prendre tout mon temps pour les comprendre, les assimiler et réajuster ma vision du monde !!
    Et puis les adopter dans ma vie de tous les jours et ainsi, augmenter très légèrement les égrégores de confiance …

  5. Soleil Bleu dit :

    Belle leçon de gestion budgétaire qui remêt l’humain, et donc l’éthique, au centre des priorités tout en démontrant qu’elle impacte positivement une relance économique mesurée, évolutive et pereinne pour TOUS. Elle remêt en course les valeurs, partage, solidarité, patience et confiance dans les autorités gouvernantes chargées de protéger les peuples.
    Soit, le shéma inverse du modèle occidental que chacun dénonce, mais sur les bases duquel un grand nombre continue d’hypotèquer leur avenir.

    Le problème, c’est qu’il me semble que beaucoup de personnes ne « choisissent » pas tant ce système dont ils constatent l’injustice tous les jours, que l’oubli, à force d’informations tronquées, qu’il n’est qu’un système, pensé et imposé par de puissants financiers, préoccupés exclusivement par leur profit, mais auxquels ils donnent pourtant chaque jour, leur accord implicite à ce qu’ils poursuivent leurs exactions.
    Un peu comme une des histoires de Nasrudine où son voisin affolé vient le prévenir que son âne s’est détaché. Nasrudine lui répond « et alors ? » son voisin lui dit interloqué « mais Nasrudine, je te dis que ton âne est libre ! t’as pas peur qu’il s’enfuie ? » et Nasrudine de conclure « non ! aucun risque, parceque lui, ne le sait pas »

    Belle journée à tous.

  6. anne benaros dit :

    Quelle camouflet à la finance internationale quand on sait que la faillite argentine a été méticuleusement organisée par les retraits des fonds étrangers simultanément .Souhaitons que la Grèce puisse se prendre en main sans les marchands du temple …..

  7. elba dit :

    Courageux et sage ! Ne pas hésiter à prendre la route que l’on pense la meilleure, tout en sachant que l’on va se faire détester par certains, n’est pas chose aisée. Roberto Lavagna est un homme à prendre en modèle. Même si nous ne faisons pas partie de l’élite qui dirige, comme lui. Chacun d’entre nous a, au cours de sa vie, des décisions à prendre, qu’elles soient minimes ou importantes à nos propres yeux ou aux yeux des autres. Et c’est à ce moment que notre égo est parfois mis à rude épreuve.

    Bravo, Monsieur ! Vous ne vous laissez pas corrompre. Ca fait tellement chaud au coeur !

  8. Quintus dit :

    Eh oui, qui n’a pas compris encore.. les 3/4 de la population! Dormez, dormez dormez Bzzz..
    Les banques veillent sur vous, les politiciens vous cajolent pour mieux vous arnaquer et les firmes vous rendent malades.

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