La nuit noire de l’âme

Pamela transmet Marie-Madeleine.

Chers amis, je suis votre sœur, Marie-Madeleine. Je suis à vos côtés, votre amie intime. Je ne suis pas là-haut, loin au-dessus de vous, mais celle que vous connaissez au-dedans de vous. Ressentez un instant notre connexion profonde. Nous sommes Un, nous faisons partie de la même famille.

J’ai moi aussi voyagé sur Terre sous forme humaine, j’en ai connu et exploré les profondeurs et j’ai été touchée par une Lumière resplendissante et vivante qui m’a inspirée et saisie, qui a ravivé ma mémoire et m’a fait rêver et désirer un monde meilleur sur Terre. J’ai connu les deux extrêmes, la lumière comme l’obscurité. Ces extrêmes sont des pôles qui vont ensemble : ils sont une force motrice l’un pour l’autre, pourrait-on dire. La vie semble faite d’opposés : la lumière et l’obscurité. Les sentiments qu’elles suscitent semblent contraires, mais il y a une connexion cachée entre elles. Elles ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre. L’expérience de lumière n’est possible qu’en vivant l’absence de lumière, et par contraste avec son contraire, l’obscurité.

La lumière n’est jamais aussi visible que lorsqu’elle sort de l’obscurité. Pensez simplement aux premiers rayons de soleil au lever du jour, à cette douce lumière matinale qui réchauffe le monde. Voyez à quel point elle peut vous toucher, spécialement quand elle sort d’une nuit froide et noire. Le contraste crée une dynamique, la vie, le mouvement, la croissance, le changement. L’obscurité a donc une fonction dans votre vie. Toutefois, les êtres humains vivent souvent l’obscurité comme l’antithèse de la lumière, non comme une force motrice pour le changement et la croissance, mais comme un piège ou un trou dans lequel on se trouve enfermé et où l’on est réduit à l’immobilité. On a alors l’impression que dans ce trou profond, on a perdu tout contact avec la lumière, comme si l’on avait été coupé d’elle.

Vous connaissez tous cet état mental d’être coupé de la lumière, d’être privé du sentiment que votre vie a un sens et un but. En fait, c’est cela être mort. La seule façon possible de mourir n’est pas une mort physique, mais de cesser tout mouvement dans votre cœur, vos sentiments, votre esprit. En réalité, la mort n’existe pas. Votre âme est éternelle et continue de vivre. Seule votre forme est mortelle, votre essence, elle, est éternelle et ne peut pas mourir. Mais il est possible que vous perdiez de vue votre essence temporairement à un degré tel que vous devenez rigide à l’intérieur de vous et que vous cessez de bouger. Vous êtes mort à l’intérieur et vous vous sentez alors extrêmement déprimé. C’est un état très pénible.

Voyageons ensemble un instant. Descendons ensemble dans cet état dépressif et explorons-le l’esprit ouvert. Que se passe-t-il lorsque quelqu’un perd tout espoir ? Qu’il se ratatine et se sent impuissant face aux sensations qui se manifestent en lui ? Généralement, cette réaction est stimulée par des évènements extérieurs dérangeants, des évènements qu’une personne est incapable d’intégrer dans son cadre de référence et qui font que tout devient incertain dans la vie de cette personne. Ce sont soit de grandes choses, comme le décès d’un proche, une maladie, la perte d’un emploi ou la rupture d’une relation. Ce sont des évènements qui affectent les êtres en profondeur et peuvent les amener au bord du gouffre.

Cependant, l’obscurité peut aussi parfois se révéler à partir de l’intérieur, sans aucune cause extérieure connue. De vieux fardeaux émotionnels que vous avez stockés autrefois dans la mémoire de votre âme remontent à la surface. Des expériences douloureuses, probablement originaires de vies passées, jaillissent de vos profondeurs, et il vous faut gérer des impressions obscures, des peurs et des doutes. Des expériences de manque, de solitude et de défaite peuvent entrer sans raison apparente dans votre psyché. Ils peuvent vous faire perdre pied tout autant qu’un événement extérieur.

Quand quelqu’un se trouve pris dans une dépression, dans une nuit noire de l’âme, il a toujours l’impression d’être englouti et incapable de gérer toutes ces émotions. Le flot d’émotions pénibles et lourdes semble trop important à porter. Vous en êtes accablés, tout au moins vous en avez l’impression, et vous vous enfermez alors dans un sentiment d’impuissance. Au moment-même où vous tournez le dos à ces émotions et où vous refusez de leur faire face, vous êtes coincés ! Ces émotions veulent circuler, il est essentiel que les émotions continuent de circuler, comme le fait une grosse vague qui déferle sur une plage. Mais vous avez peur de permettre cela, alors vous refusez de suivre ce mouvement et vous vous retirez de ces émotions qui vous inondent. Vous construisez une digue, un barrage ou une barrière et vous dites : « Je ne peux pas gérer ça. Je ne veux pas de ça. Je veux en finir avec ça ! » Votre réaction, souvent issue de l’impuissance, crée une dépression, qui est un état de paralysie et de fermeture à la vie. Avec le temps, cette situation devient insupportable et vous n’avez plus envie de vivre.

D’un point de vue terrestre, vous voulez mourir parce que la vie est intolérable. Vu selon la perspective de l’âme, vous êtes morts et c’est une expérience si insupportable que vous voulez mettre fin à cette situation. Le désir de mourir est essentiellement un désir de changer, un désir de vivre à nouveau. Les gens qui tentent de se suicider ont un profond désir de vivre, pas de mourir. C’est précisément ce sentiment d’être morts à l’intérieur qui les pousse au désespoir extrême. C’est leur soif de vivre qui les pousse à mettre fin à leur vie physique.

Quand vous vivez une dépression, il y a en vous une combinaison de forte résistance et de vulnérabilité extrême. La dépression est une manière de vous défendre contre la puissance énorme des émotions qui menacent de vous engloutir. Vous pensez qu’elles vont vous détruire et donc, dans votre impuissance, vous construisez une coquille autour de vous, vous vous protégez dans un cocon fait de non-vouloir ou d’incapacité de ressentir quoi que ce soit. Vous ne voulez plus être là, tout comme l’autruche proverbiale qui se met la tête dans le sable. Et pourtant, ça vous paraît être la seule issue possible. Après quelque temps, vous ne pouvez plus sortir la tête du sable, de la dépression. Vous vous êtes tellement fermés à la vie et à tous les sentiments que vous n’êtes plus en mesure de renverser la situation et d’effectuer un changement. Le choix de dire « oui » à vos émotions vous semble au-delà de vos forces. La dépression a maintenant atteint un paroxysme.

D’une part, vous n’avez pas la possibilité d’accepter les émotions de peur, de désespoir, de tristesse et de solitude, ni de les partager avec d’autres, et d’autre part, vous savez et percevez que c’est atrocement pénible de vivre sans émotions. C’est une forme de mort, un déni complet de votre cœur vivant. Au bout de quelque temps, vous voulez ressentir à nouveau. La douleur de ne pas ressentir est plus forte que celle de ressentir vos émotions. C’est votre rédemption ainsi que le point de bascule. Le refus de ressentir et le fait de dire : » Non, je ne peux pas, je ne veux pas de ça, je veux mourir, je veux disparaître » vous rendent si vide et si creux que vous ne pouvez plus le supporter.

 

Ce qu’il se passe, du point de vue de l’âme, c’est que la vie est devenue plus forte à présent, elle ne peut plus être retenue. Quand la force vitale a été restreinte avec force pendant longtemps, cela génère une force contraire qui finit par éclater. La force du raz-de-marée qui veut déferler sur la plage ne peut pas être contenue à jamais. À un certain moment, émerge en votre for intérieur un « oui », même si vous n’en n’êtes pas conscients. Rien n’est statique dans la vie, l’envie de vivre est irrépressible. Quand un paroxysme a été atteint, vous créez des événements dans votre vie qui génèrent le changement, qui créent une percée.

Cela arrive parfois sous la forme d’une tentative de suicide. Si elle échoue, il peut y avoir une spirale ascendante, car la souffrance de cette personne devient alors bien visible aux yeux de tous. Quand elle s’aperçoit combien les autres se soucient d’elle, elle peut alors s’ouvrir à davantage de Lumière, de compréhension et de sympathie. Toutefois, il peut aussi arriver que les gens ne s’ouvrent pas et restent dépressifs. Il n’existe pas de recette toute faite pour provoquer une percée. Malgré tout, la vie est dotée d’une pulsion motrice qui rend impossible de stagner indéfiniment dans un état de conscience statique.

Même quand la vie terrestre prend fin en emportant votre vie personnelle, vous vous retrouvez tout de suite face à de nombreux choix de l’autre côté, car vous devez encore y faire l’expérience de ce que vous ressentez. La mélancolie présente quand vous étiez incarnés, avec ses ressentis de douleur et d’angoisse, peut maintenant se présenter avec encore plus d’acuité et de manière moins voilée. Parfois, le plan astral où vous aboutissez après la mort vous confronte directement aux émotions que vous avez refoulées et elles recommencent alors à circuler. Par exemple, une personne peut se sentir désespérée et horrifiée au moment de son trépas en découvrant que la vie n’est pas vraiment finie. Ou bien, elle perçoit les émotions des gens de sa famille sur Terre, leur chagrin et leur tristesse, et elle en est très affectée. En étant touchée de cette façon, un nouveau mouvement peut se faire dans l’âme de la personne trépassée. Cela peut générer une percée, lui permettant ainsi de s’ouvrir à l’aide des guides toujours présents, sur Terre comme au Ciel. L’aide est toujours là, à condition que vous y soyez ouverts.

Peu importe vos contorsions, la vie est plus puissante que toute velléité de mourir. La vie réaffirme toujours son droit à l’existence, il vous est impossible de la tuer. Par conséquent, il y a toujours de l’espoir ! Accrochez-vous à cela pour vous-mêmes mais aussi pour ceux que vous voyez souffrir. Les choses peuvent parfois sembler si désespérées, mais il y a toujours une autre perspective, même si vous ne parvenez pas à imaginer comment il peut en être autrement ni comment le changement va prendre place. La vie est toujours plus forte que la mort, la Lumière plus forte que l’obscurité. L’eau finit par rompre les digues, parce que l’eau a le pouvoir de se mouvoir, elle bouge, elle est vivante ! L’énergie de l’eau est plus puissante que la résistance qui veut la retenir.

Ressentez la force motrice de la vie en vous pendant quelques instants. Il y a en chacun de vous des blocages, des schémas récurrents, des doutes, des sentiments d’infériorité, des incertitudes, de la méfiance, de la colère ou des résistances. Imaginez à présent que ces aspects sont là, simplement, et que la vie continue son cours en les contournant. L’eau continue à circuler, et bien qu’il reste dans le cours d’eau des gros rochers qui ont l’air fixes et inébranlables, ceux-ci sont malgré tout érodés par le mouvement et la poussée de l’eau sur eux. Cela prend du temps, mais n’oubliez pas qui vous êtes : Vous êtes l’eau vive ! Plus vous garderez cela en mémoire, plus vous pourrez récupérer l’énergie des gros rochers et des pierres qui se trouvent dans le cours d’eau. De la douleur en provenance du passé y est encore présente. Vous n’avez pas besoin de la minimiser ni de la mettre à l’écart, mais vous n’avez pas non plus besoin de traîner ces gros rochers hors de la rivière. Vous avez juste à vous souvenir que vous êtes l’eau !

Cela peut parfois être difficile parce que vous vous êtes partiellement identifiés à ces gros rochers qui bloquent votre énergie : « Je ne suis pas correctement enraciné-e. J’ai des difficultés à me sentir chez moi sur Terre. Il y a encore en moi de la tristesse et des traumas du passé… » Et tout cela est vrai, mais imaginez un instant ces idées sous forme de rochers ou de cailloux dans une rivière immense. Parce que c’est ce que vous êtes, c’est votre force vitale réelle. C’est votre âme qui coule sans fin, tout le long de son chemin : vivante, bouillonnante, jaillissante et grondante, elle explore et découvre. Ce flot n’a pas de jugement quant aux gros rochers qu’il rencontre, il les engloutit. Vous avez bien le choix !

Bien sûr, à l’occasion, il se peut que vous restiez coincés dans tel ou tel blocage quand vous commencez à vous identifier à lui trop longtemps. Mais vous pouvez vous détacher de ce blocage juste en vous identifiant à l’eau qui coule. L’eau est votre âme et ne peut pas être retenue. Ressentez-la couler, bouger et étinceler. Imaginez-la couler sur vous et vous laver, ressentez sa force bouillonnante, la Lumière qui brille en elle. Ressentez comme votre âme, en profondeur, n’est pas menacée par l’obscurité dont vous faites l’expérience, par ces gros rochers qui paraissent si solides et inébranlables. Votre âme n’est pas du tout troublée par ce qui est là, parce qu’elle sait que les rochers appartiennent à ce lieu. Ils font partie du paysage de la vie. Essayez, quand vous êtes coincés dans ce genre de rocher, d’écouter l’eau se précipiter. Souvenez-vous de l’eau et de l’aisance avec laquelle elle s’écoule.

Il n’est pas nécessaire que vous fassiez tout par vous-mêmes. La vie vous fournit d’innombrables opportunités et possibilités. Elle vous conduit parfois dans de sombres vallées, mais elle vous propulse aussi à nouveau dans la Lumière. Même quand vous avez l’impression de ne plus avoir la force de continuer à lutter, et que vous ne voyez pas d’issue heureuse, la vie vous propulse encore. L’art de vivre consiste à garder confiance, même quand il semble qu’il n’y ait plus rien qui le justifie et quand tout ce à quoi vous croyiez a disparu de votre vie.

Actuellement sur Terre, beaucoup d’êtres sont dans un processus de transformation de l’obscurité ancienne, des aspects de l’âme viennent à la Lumière maintenant et veulent être vus. Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que vous faites un bond en avant. C’est réellement un bond dans l’évolution de la conscience de l’humanité. Ce bond ne peut se faire sans tendre la main aux endroits les plus sombres de votre conscience, ceux qui sont pleins de peurs, de méfiance ou d’une profonde tristesse à propos de tout ce dont vous avez fait l’expérience sur Terre. N’ayez pas peur de cette obscurité, elle commence à se libérer et à circuler, tel est l’art de vivre cette vie. Vous ressentez alors : « Non, je ne peux pas vraiment dire oui à cela ». Souvenez-vous qu’il y a quelque chose en vous qui dit encore « oui ». C’est cela qui va vous sauver et vous permettre de continuer – la confiance en la vie.

Je vous aime tous, vous m’êtes chers. Peut-être pensez-vous : « Comment est-ce possible ? Vous ne pouvez pas nous connaître tous personnellement. » Mais vous, en tant qu’humains, ne savez pas ou ne réalisez pas l’étendue réelle du réseau des âmes. Une fois que nous sommes connectés par l’âme avec quelqu’un, c’est une connexion permanente. Ce lien relationnel une fois tissé ne se défera pas avec le temps, parce que dans notre dimension il n’y a pas de temps. Il existe un réseau vivant qui nous relie en tant qu’âmes. Nous partageons une certaine histoire, un certain désir, une flamme qui a été allumée un jour dans notre conscience. La Terre s’éclaire peu à peu grâce à cette flamme. La conscience éveillée en chacun nous rassemble et crée une fondation nouvelle à partir de laquelle ce bond dans la conscience va réellement prendre place. Vous n’avez pas besoin de réfléchir à cela. Restez dans votre processus personnel, votre cheminement. C’est suffisant. Ressentez cette impulsion puissante de la vie, non seulement en vous mais en beaucoup d’autres, à travers qui une vague de conscience inonde la Terre.

© Pamela Kribbe – Traduction Christelle Schoettel.

Source originale.

Source : http://www.urantia-gaia.info (en cas de copie, merci de respecter l’intégralité du texte et de citer la source).

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Nomade sur le chemin...
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128 réponses à La nuit noire de l’âme

  1. Thau dit :

    Lu sur :

    http://www.vieux-jade.com/

    Une nuit

    Ce soir, c’est la fête du Têt

    La chambre baignait dans une semi obscurité, ponctuée de taches bleues et vertes et du halo qui entourait les cadrans des appareils. Dehors, derrière les volets baissés et les épaisses fenêtres à double vitrage, l’énorme vacarme du monde restait contenu, et ne filtrait que par un insondable grondement.

    Une forme immobile renflait à peine le lit. Au dessus, des tubes et des capteurs formaient comme une énorme araignée noire aux aguets, suspendue dans la pénombre.

    L’infirmière venait de sortir, après avoir vérifié la perfusion.

    Cette nuit, le savait-il ? C’était la nuit du nouvel an. Et sur la terre entière, les communautés asiatiques grandes et petites venaient à la rescousse du nouveau soleil, contre les armées de la nuit. Des millions, des milliards peut-être de pétards secoueraient de leur explosion le linge noir des ténèbres, des gongs, des tambours, des cymbales, des casseroles vibreraient sous les coups martelés, des cris de peur, des cris de joie, ou les deux entremêlés entrecouperaient les marmonnements des moines tout à leurs prières et conjurations. Les voitures klaxonnaient déjà dans les rues des villes d’Asie, et jusque dans certaines rues de Paris. Le délire, la fête, l’enthousiasme allaient tout pulvériser.

    Cette nuit, s’affrontent les diables de toutes les diableries et chancelleries démoniaques des mondes, et l’espérance de lumière, fortune et chance dont rêvent les hommes. Cette nuit, toutes les armées obscures de la terreur cachée et les hordes des morts avides et inassouvis déferlent à l’assaut de la Terre, et cherchent à ruiner leurs frêles rêves de bonheur et de paix. C’est pourquoi il faut se battre, les affronter et les chasser, à grands bruit, à grands cris, les refouler jusqu’au lever de ce soleil qui triomphe enfin de toute la crasse. Jusqu’à cet instant fragile, rien n’est gagné.

    La forme mince est absolument immobile, à l’exception d’un pincement régulier et silencieux des narines. Dans le couloir, parfois, des pas feutrés et les roues assourdies des chariots qui s’éloignent.

    Il se souvient de tout. Tout revient, par bribes. La maison blanche de ses parents, dans les fastueux jardins de Saïgon, vers le fleuve. Du village de ses grands-parents, la cohue des cochons, des chiens et des poulets, la boue et la senteur de l’acre pourriture, et les fleurs opulentes des haies lui reviennent aussi.

    Y a-t-il des diables dans les fleurs, dans la nuit qu’elles recèlent en elles, dans leur capiteux parfum, dans la houle indolente de leurs corolles ?

    Peut-être faudrait-il alors chasser les diables des fleurs.

    Sa grand-mère balayait la maison avant cette fameuse nuit, lavait le sol à grande eau et faisait tout reluire. Chassons d’abord les diables de chez nous, disait-elle. Puis elle préparait avec ses servantes les jiao ze, et les corbeilles de fruits et de sucreries, la carpe, le coq et le jarret de porc.

    On chasse les diables, songeait-il, mais ils sont forts. Si forts, que nous ne sommes que des marionnettes entre leurs griffes.

    Te souviens-tu, mon cœur ? Quand la petite Rosita s’est noyée dans le puits, le grand-père a rabroué ta tante, sa fille : « Ce n’était qu’une fille. Tu n’avais qu’à mieux la garder ».

    Les oncles revenaient de la pêche, toujours contents de leurs trésors ruisselants. Le diable les a mangés, les deux. Il y a de puissants, de très puissants diables, qui jouent le monde aux dés, aux cartes, peut-être, se le disputent, se le partagent, le déchirent en pièces.

    Il se souvient des cartes de l’école coloniale. Indochine, Tonkin, Cochinchine, Laos, Siam, Cambodge, noms séparés par de gros traits noirs sur fond de diverses couleurs violentes, vert, bleu, orange. Sommes-nous comme cela ? Bleus, verts, oranges ? Où passe ce trait épais ? Que sépare-t-il ? Il sépare les peuples et la famille des hommes en tranches que se disputent des diables importants au banquet de l’Enfer, qui se tient encore assez souvent.

    Un jour des diables blonds ont mis la main sur son pays, on disait alors Viet Nam, et de nouvelles limites étaient apparues, Nord et Sud, comme on taille dans un morceau de viande.

    Des diables vomis par des engins de fer, des bateaux de fer, des bombes de fer volantes, des tempêtes de fer, des nuages de feu, à ne pas croire.

    Lui n’était plus là pour le voir, mais il savait que le malheur tombait là-bas comme par une invincible magie. Quand il est retourné, la bête avait tout dévoré. Les oncles, les cousines, le village tout entier, et tant d’autres villages. On voyait cela sur les écrans en noir et blanc des villes et des villages, et même à Paris où il résidait maintenant.

    Les pétards et les conjurations n’ont pas suffi à écarter ces diables de la maison pourtant luisante de la grand-mère, qu’astiquaient les servantes.

    Il y a de puissants démons.

    Il se souvient aussi de ce tigre qui un jour est entré chez lui, deux ans après son mariage. Un tigre soyeux en robe verte, aux yeux fendus de velours noir, ce terrible sourire en coin, et cette voix rauque, ce feulement, s’il s’en souvient ! Il en frémit encore, et c’est si loin pourtant, des siècles et des siècles, et la tache orangée de son dos, quand il défaisait un par un les boutons de sa robe, puis la morsure, soudain, la terrible morsure, le tigre qui le dévore, lui déchire les yeux de ses griffes, le tigre de la jalousie, qui mord aux tripes et les arrache sans répit, des siècles durant, sans même celui des nuits de la saison sèche, pourtant moins oppressantes, et cette femme qui respire fort à côté de lui, voilà qu’elle ronfle, maintenant, il la hait, et son ventre qui enfle encore et encore, d’être là, alors que l’autre…

    Les enfants, qui étaient si contents de lâcher leurs pétards, confits de joie et de terreur, tout excités, faisant derrière eux le cortège sinueux du dragon, frappant les casseroles à grands coups de cuillères et braillant pour exorciser le monde, ont-ils mieux réussi ? Que sont-ils devenus ? Il y a si longtemps qu’ils ne viennent plus. Depuis qu’il les a chassés de sa maison. Ces sales histoires de drogue. Cette petite grue qui se faisait sauter par des nègres. L’autre qui ne savait que faire. Dehors, vermine.

    Ceux-là aussi, le diable les a mangés. Le diable a toujours faim. Peut-être est-ce moi, le diable qui les a mangés. Peut-être ne les ai-je pas aimés. Pas vraiment.

    Il n’empêche qu’ils se rassembleront comme des vautours pour se disputer encore une fois sur son cadavre les restes encore chauds de ma fortune.

    Parce que oui, c’est vrai, j’ai bien réussi en France. J’ai continué le commerce des perles et des pierres fines, avec les juifs et les indous.

    Demain ils se rassembleront comme des vautours ou comme des diables et arracheront chaque bribe de ma chair, et mes immeubles, mes livres et mes trésors.

    Et ce démon qui me dévore, ce soir, d’où provient-il ? Aucun barrage ne l’a tenu, retenu, ne l’a empêché d’entrer jusque là, jusqu’à ce lit où je demeure, de me broyer encore un peu, dans la salive de sa colère.

    J’essaie de calculer mon âge, et je n’y parviens plus. Les pensées se chevauchent et ne veulent rien savoir. J’ai passé quatre-vingts, de cela je suis sûr.

    Il faut que je me lève et que je casse enfin tout, que je hurle avec le monde entier, pour faire barrage aux ombres, leur interdire d’entrer.

    Ma femme. Je pleure maintenant des larmes de sel pour ce que je sais maintenant d’elle, et de la souffrance que j’ai chaque jour versé de ma rancune et de ma haine dans les sillons de ses journées et de ses nuits.

    Maintenant je la vois. Je l’aime. Ses yeux me brûlent. Qu’ai-je fait, pourquoi ne l’ai-je pas aimée non plus ?

    Il est trop tard. Aucun filet n’a retenu les grands démons de ma noirceur, de ma folie, aucun tambour, aucun pétard, ni aucun moine.

    Dehors la nuit s’embrase, et rien ne filtre dans cette chambre ponctuée de souvenirs.

    Un jour on a retrouvée morte la sœur de Mme W. et son meurtrier s’est pendu le même jour. C’était M. W. que les diables ont mangé lui aussi.

    De tout, je me souviens.

    Et la boutique aux volets verts n’a plus jamais rouvert. Il y a de puissants démons.

    Les draps sont à peine tendus par cette forme mince, à peine.

    La porte est maintenant ouverte, et des pas glissent sur le sol plastifié, dans un murmure.

    – Arrêtez ! Laissez-moi ! Partez ! Ne me faites pas de mal !

    Les ombres se fondent lentement dans l’ombre, et ça devient tout un peuple debout alentour. Puis l’ombre fond doucement, jusqu’à se changer en une clarté diffuse qui s’accroît peu à peu. Et soudain la lumière s’impose, renverse et submerge tout.

    Autour de lui, il y a maintenant tout un village, grand-pères, grand-mères, les oncles et tantes et les cousines, et Rosita qui lui sourit, et puis soudain…

    – Maman ! Papa !

    Une forme svelte et souple saute du lit pour les rejoindre.

    ***

    Dans un bureau l